Le Liban et la liberté d’expression!
Le Liban a toujours été considéré comme un bastion de la liberté d’expression dans le monde arabe. Dans le préambule de la Constitution libanaise, on peut lire que « le Liban est une république démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des libertés publiques, et en premier lien la liberté d’opinion et de conscience », alors que l’article 13 dispose que « la liberté d’exprimer sa pensée par la parole ou par la plume, la liberté de la presse, la liberté de réunion et la liberté d’association sont garanties dans les limites fixées par la loi ». Pendant longtemps, Beyrouth a été le refuge des intellectuels persécutés dans leur pays. « Beyrouth est notre tente. Beyrouth est notre étoile », écrivait le poète palestinien Mahmoud Darwich qui a séjourné dans la capitale libanaise. La presse locale publie régulièrement des articles qui auraient été censurés dans d’autres pays arabes, comme en témoigne Al-Moulhaq, l'ancien supplément culturel du quotidien An-Nahar qui a longtemps ouvert ses colonnes à des auteurs palestiniens ou des opposants syriens. Parallèlement, les maisons d’édition libanaises ont souvent accueilli des écrivains dont les œuvres étaient "indésirables" dans leur pays d’origine, comme Awlad haretna (Children of Gebelawi), du lauréat du prix Nobel de littérature, l’Egyptien Naguib Mahfouz, publié en 1962 à Beyrouth par Dar al-Adab et réédité en Egypte en...2006 !
Un lourd tribut
Mais la liberté d’expression a un prix. Certains journalistes ont payé très cher leur attachement à la liberté et ont été pris pour cible par ceux qui utilisent la mort comme instrument de censure, tels Kamel Mroué, Salim el-Laouzi, Riad Taha, Samir Kassir, Gebrane Tuéni et vingt-cinq autres de leurs confrères, lâchement assassinés, sans compter May Chidiac, «martyre vivante » et rescapée d’un attentat à la voiture piégée, qui a raconté son parcours dans un témoignage poignant intitulé Le ciel m’attendra où elle écrit: «Car ici, à l’avant-garde du monde arabe, les journalistes sont les garants de l’esprit civique et de la citoyenneté, contre toute résignation, cette tentation de la démission qui fait le lit de l’impunité. A Beyrouth plus qu’ailleurs, les journalistes sont des résistants de la liberté »...
En revanche, la littérature libanaise a été rarement inquiétée, comme si la fiction servait d’écran protecteur entre l’auteur et le censeur. Qu’ils écrivent en arabe, en français ou en anglais, les romanciers et poètes libanais ont osé aborder des sujets « sulfureux » comme la guerre, la sexualité et le corps féminin , sans pour autant devoir rendre des comptes. Mais l’assassinat en février 2021 de l’éditeur Lokman Slim, fondateur de Dar al-Jadeed, est venu rappeler que nul n’est à l’abri d’une «liquidation » - encore que son assassinat soit davantage lié à ses prises de position contre le Hezbollah qu’aux publications de sa maison d’édition qui vient d’être justement récompensée par le Sheikh Zayed Book Award dans la catégorie Editeur.
Un observateur efficace
Pour surveiller les débordements et les abus, le SKeyes Center for Media and Cultural Freedom a vu le jour en 2007, au lendemain de l’assassinat de Samir Kassir, pour signaler les violations contre la liberté de la presse et de la culture au Moyen-Orient. Le 11 mai 2021, il a ainsi déploré que huit journalistes couvrant les protestations à Jérusalem aient été blessés... Aux yeux de son directeur Ayman Mhanna, le fait que le Liban occupe en 2021 la 107e place sur 180 pays dans le classement de Reporters sans frontières relatif à la liberté de la presse, est dû à un climat d’impunité tant au niveau de la justice qu’au niveau des services de sécurité. A son avis, il faudrait adopter une nouvelle loi pour la presse et les médias pour protéger davantage les journalistes, une refonte des syndicats de la presse et des rédacteurs, et, sur le plan politique, «une volonté de sacraliser la liberté ».
Nous assistons ainsi à ce paradoxe libanais : une liberté d’expression qui se manifeste dans tous les médias sans entraves ni tabous et qui se déploie avec beaucoup plus de vigueur que dans la plupart des autres pays arabes ; mais des abus fréquents à l’encontre des périodiques et des journalistes. On en déduit que la liberté d’expression n’est jamais acquise : elle est le fruit d’un combat permanent.