Beyrouth au coeur
Beyrouth, 4 août 2020.
Je sens comme un tremblement de terre, puis une déflagration d'une violence inouïe qui souffle les vitres, détruit les façades et emporte tout sur son passage, un peu comme un ouragan. Je reviens trente ans en arrière, à l'époque de la guerre, quand les voitures piégées ou les salves d'obus explosaient au milieu de la population, fauchant des dizaines d'innocents...
Je constate les dégâts. Scènes d'Apocalypse. Beyrouth, ma ville natale, réduite en cendres par une bande d'assassins qui ont stocké au port, à quelques mètres des quartiers résidentiels, une véritable bombe à retardement. Je porte le deuil des victimes et celui des souvenirs qu'on m'a confisqués. Il faudra châtier les coupables parce que Beyrouth qui, au temps des Romains, abritait l'école de droit de Béryte, a été baptisée "la mère des lois" et qu'à ce titre, elle n'acceptera jamais que les responsables s'en tirent à bon compte. Aux victimes nous devons promettre cette justice. Nos morts seront honorés. Et nos blessés vengés. Car il n'y a pas de place à l'oubli dans cette tragédie.
Mais il faudra d'abord panser ses plaies, se redresser, rebâtir, se remettre à croire dans ce Liban qui a si souvent trahi notre confiance et transformé nos espoirs en désespoir...
Il y a des villes masculines et d'autres féminines. Beyrouth est une femme, de toute évidence, comme celle qui porte le flambeau de la Liberté, comme celle qui, dans le fameux tableau de Delacroix, guide la révolution. On dit que cette ville a été détruite et reconstruite à sept reprises. C'est donc la huitième fois qu'on la défigure. Mise à genoux, elle se relèvera, courageuse et digne, malgré ses blessures et ses cicatrices...
Que ceux qui croient que Beyrouth est morte se détrompent. Beyrouth est hors de l'espace et du temps. Elle est de ces lieux que nul ne peut anéantir.
Comme le Paradis.